jeudi 4 mars 2010
Le sport en internat en 1968
Le 110 mètres semelles de plomb sur parquet ciré était une discipline très populaire pratiquée par les pensionnaires du dortoir 4 du lycée de jeunes filles de Saint Germain en Laye tous les soirs entre la porte de l'escalier nord et celle des douches.
La course était accompagnée du traditionnel cri de guerre tchécoslovaque "Ahoy!" et du secoué de rideau, la gagnante étant celle ayant fait sortir le plus de ses compatriotes de leur boxe.
Pour obtenir le même résultat sans courir, il était également possible de se poster à l'entrée du dortoir et de crier "Eva ?" douze voix s'élevaient alors, criant à l'unisson "Ahoy !!!" en même temps que les rideaux s'agitaient.
Plus téméraire, une tentative d'escalade de table de toilette en marbre assortie d'une glissade périlleuse avec en guise de patins une pile de bouquins négligemment posée sur un radiateur en fonte avait donné lieu à un fou rire difficile à contenir. Nous n'étions que deux mais je dois reconnaitre que c'est une épreuve bruyante aussi bien que spectaculaire.
Nous n'avions généralement pas de pionne, mais ce soir là, une prise de conscience subite de la direction nous en avait déléguée une. Difficile de faire plus grand contraste entre notre hilarité et la mine funéraire de la surveillante, le nez pincé, les yeux enfoncés derrière des lunettes teintées et son indéfrisable du plus pur style belle-mère.
La petite phrase censée arrêter le jeu, qui s'adressait à moi "Mademoiselle, veuillez retourner dans votre boxe en attendant que j'éteigne la lumière" nous avait plongées dans des abîmes de perplexité en même temps que dans un nouveau fou rire.
Il faut dire que la pile de livres était en fait un millefeuille d'une cinquantaine de livres et de copies en vrac qui s'était immédiatement étalé sur toute la surface du boxe et il était impossible, ni de se coucher, ni même de mettre un pied devant l'autre sans risquer une nouvelle catastrophe.
La pionne n'avait pas vu le début du spectacle, elle n'en saisissait que le résultat. Condamnées à retourner chacune de notre côté, nous avions notre garde chiourme postée avec sa table et sa lampe de chevet au milieu du couloir. Nous avons donc sagement fermé nos rideaux et nous sommes grimpées de concert, chacune sur notre radiateur pour continuer notre discussion, d'une gaîté indiscutable.
Le lendemain, la patineuse maladroite était envoyée au dortoir 6 avec armes et bagages et moi-même changée de boxe dans le même dortoir. A nos places, deux nouvelles adeptes des semelles de plomb affirmaient la suprématie de cette discipline au dortoir 4.
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Ce dortoir est sinistre. c'était le tien ?
RépondreSupprimerJusqu'au CM2, nous étions tous au même endroit, les plafonds étaient voûtés.
On ne pouvait même pas chuchoter tellement ça résonnait. Nous étions très peu, moins de 20, les autres rentraient chez eux le soir.
J'ai hésité à écrire sur ton article, que des mauvais souvenirs pour moi et l'image ne me plait pas.
Pourtant, je reconnais avoir souri en lisant. Je t'y voyais.
Non, Viking, ce n'est pas mon dortoir, mais il y ressemble vraiment beaucoup.
RépondreSupprimerLe nôtre était mieux éclairé et les rideaux étaient fleuris. Un dortoir de filles quoi !
Je n'arrive pas à comprendre comment on peut mettre des enfants petits en pension.
Je n'y suis allée que parce que je ne voulais pas faire le trajet tous les jours et j'étais déjà au lycée.
Je dois dire que c'étaient les meilleures années de ma vie.
Je me suis sauvé 100 fois au moins de l'école. Une fois, je suis resté trois jours dehors avant qu'on me remette "en prison".
RépondreSupprimerMes parents m'ont mis une toise, le lendemain, j'ai recommencé.
Quand je suis enfin sorti de là, j'avais 17 ans et j'ai juré que personne ne m'enfermerait plus.
Tu me donne des frissons.
RépondreSupprimerD'autres sortes de prisons :
RépondreSupprimerUn boulot sédentaire dans un bureau.
Le mariage, un chien, une maison à crédit.
Hélas, Viking, tu as mille fois raison.
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