C'est vendredi. Rentrée plus tôt, j'avais l'intention d'aller chez le boulanger pour acheter une galette des rois, Le 6 janvier est le seul jour où, chez nous, on tire les rois, par tradition.
En passant dans la rue commerçante, je m'attardai devant la vitrine du marchand de chaussures. Ils étaient toujours là. Des escarpins rouges, avec un petit talon, pas trop haut pour m'habituer après une cheville cassée à la patinoire qui m'avait longtemps obligée à porter des chaussures qui tiennent bien le pied.
Il était celui que j'avais choisi et à qui j'ai passé toutes les folies, il me laissait des messages sur des cassettes que j'écoutais dans ma voiture en allant au boulot. Il n'était pas là de la semaine et ne rentrait habituellement que le vendredi. Il serait là ce soir et j'allais lui faire la surprise, je porterai les escarpins rouges qui lui plaisaient tant avec la robe noire et rouge qu'il m'avait offerte en novembre. Nous les avions vus ensemble. Ce soir, nous allons danser.
Ma galette sous le bras, j'entrais chez le marchand de chaussure et je demandais à la patronne, que je connaissais bien, si je pouvais les essayer. Elles étaient parfaites. Elle mit la boîte dans un sac et me la tendit en me faisant un clin d'œil. Bonne soirée les amoureux ! dit-elle en m'ouvrant la porte. J'avais le sourire.
En arrivant, je mis le four à chauffer, si bien que lorsque les filles sont arrivées, la galette était prête à y entrer. Qui allait avoir la fève ? Il me restait du temps avant de les emmener chez Maman pour la nuit. C'était à quelques rues, tout près de l'école.
Je croquais dans la pâtisserie toute chaude qui fit une nuée de miettes sur mon pull-over. C'était bon. A ce moment, la sonnette retentit. Devant la porte, deux personnes m'ont parlé avec un ton solennel. Je ne me souviens plus des mots exacts. J'ai juste compris que quelque chose de très grave était arrivé. Il n'y aurait pas de sortie ce soir, ni aucun autre soir, mon bonheur venait de s'écrouler. Il était mort.
J'ai voulu teindre les escarpins en noir, mais je n'en ai pas eu le cœur. Tu les aimais rouges.
Je les avais mis à l'amphithéâtre mais je n'ai pas osé les porter pour les obsèques.
Tu vois, je les avais achetés pour toi. Je savais que ça te plairait. Encore une fois, on n'aurait vu que nous sur la piste de danse. Mais voilà, tu as croisé la mauvaise personne au mauvais endroit et elle t'a pris ce que j'avais de plus précieux, ta vie. Plusieurs fois, je me suis dit que j'allais les donner. Je n'ai pas pu. Encore une fois, hier, je les ai sortis de leur boîte et j'ai rêvé que nous dansions ensemble, là, dans cette maison où tu n'es jamais venu. Puis, je les ai rangés en me souvenant de ton sourire quand nous les regardions dans la vitrine. C'était ma dernière galette des rois, je ne peux plus en manger.
Ma tradition de l'épiphanie, ce sont ces escarpins rouges qui nous avaient fait rêver.
Bel article et tristounet...
RépondreSupprimerC'est la vie.
RépondreSupprimerMerci pour la visite, je suis touchée.