J'ai très peu écrit ici ces derniers temps. J'étais en phase d'observation. Il n'y a que lorsque les conflits s'extériorisent qu'on peut les regarder. Dans leur phase de latence, ils sont comme les volcans endormis. On sait qu'un jour peut-être ils vont de nouveau se réveiller, mais de la même façon qu'on ne sait pas quand, on ne connait pas non plus la nature et l'ampleur du phénomène de réveil.
Depuis le 17 novembre 2018, le peuple est dans la rue. Il est venu révéler la détresse que de plus en plus de familles vivent depuis si longtemps lorsqu'une fois le loyer et les factures d'énergie payées, elles se trouvent devant des choix comme manger ou se chauffer.
Mon silence pouvait laisser croire que j'étais indifférente. Il n'en est rien. J'ai été élevée avec le minimum, dans une maison sans chauffage ni confort. C'était tout de suite après la seconde guerre mondiale et il y avait encore des restrictions. On peut donc dire que vivre sans confort est une seconde nature pour moi. J'estime ne manquer de rien de matériel mais je comprends que d'autres n'aient pas ce sentiment, surtout ceux qui ont des enfants. Lorsque les pieds grandissent et que la solution est de faire des trous au bout des chaussures parce que les payes ne suffisent pas à les remplacer, j'appelle ça de la maltraitance et ce n'est pas de la part des parents, mais de ceux qui font les salaires. Parallèlement, il y a ceux à qui Papa paye une voiture pour le jour de leur majorité. La marche est haute et ils ne peuvent évidemment pas comprendre. Ceux-là, vissés devant les télévisions gorgées des impôts des Français n'ont qu'un son de cloche, celui des journalistes avec des salaires à cinq chiffres. Une indécence.
Jeune, j'avais eu le coup de foudre pour un écrivain du siècle précédent, Émile Zola. La série des Rougon-Macquart est encore dans ma bibliothèque. Germinal qui faisait une description si juste et si poignante des conditions de vie des exploités du capitalisme en s'appuyant sur le monde des mineurs, m'avait particulièrement marquée. Et bien nous y sommes. Germinal, c'est maintenant et les nantis font appel à la soldatesque pour mater la révolte. La mine finit par tuer, car le désespoir peut atteindre des abysses. Où allons nous avec celui de ceux qu'on nomme du fait de leur uniforme "les gilets jaunes" ? Ont-ils encore quelque chose à perdre maintenant que ceux qui gouvernent les ont essorés de leurs moindres économies, de leurs moindres biens ? Là où je craignais en fin d'année une tuerie, la police, armée et protégée comme des robots caricaturaux, a finalement choisi d'ajouter à leur misère la mutilation. Ce n'est pas fortuit, c'est voulu. Les armes choisies et la façon dont les tireurs visent la tête des manifestants n'est pas un hasard. Ils ne tuent pas mais fabriquent des handicapés dans le but de décourager les autres. Ceux qui ne leur rendront pas justice sont les complices de ces crimes.
J'arrête ici la comparaison avec le roman de Zola car je crains que l'espoir final porté par le personnage de Lantier n'ait que peu de réalité dans le contexte actuel. La mafia qui règne sur la France doit être déboulonnée, mais pas par des actions de masse. Chacun, en boycottant les supermarchés et en limitant ses déplacements, peut agir plus utilement qu'en allant servir de cible aux tireurs recrutés pour les blesser. Hauts les cœurs. La révolution, ce n'est pas seulement le samedi.
NB ; Ceux qui n'auraient pas lu le roman de Zola, Germinal, peuvent en avoir un petit aperçu gratuit, mais tout petit,
en vidéo ici. Ceux qui ont un peu plus de moyens peuvent
acheter le livre.