Le fait divers ne m'intéresse généralement pas. Savoir que mes congénères sont capables de voler, d'agresser, de violer ou de tuer me navre assez sans en avoir le rappel à chaque sombre histoire rapportée dans la presse. Et encore, ceci n'est le fait que de quelques individus finalement pas si nombreux, mais ce qui est plus affligeant, ce sont les commentaires qu'il faut supporter de la part des lecteurs, tous plus vindicatifs les uns que les autres, réclamant non pas la prison mais la mort et comme si ça ne suffisait pas, le refus du droit à une sépulture décente. S'ils en avaient le pouvoir, ils requerraient auprès de Satan lui-même la damnation éternelle pour lui, sa famille et parfois même tous ses compatriotes, car le désir de vengeance ne fait pas dans la demi-mesure, il est toujours excessif.
Oui, j'ai bien dit vengeance, et non justice, car notre société rend le mal pour le mal. Elle ne corrige pas, elle venge. Aucune peine prononcée n'améliore la condition des condamnés. Elles ne les rendent pas meilleurs non plus.
J'ai été frappée que des accidents, involontaires par nature, soient jugés comme des crimes.
Lors du naufrage du grand voilier Maria Asumpta, qui s'est disloqué sur les rochers en quelques minutes, un accident survenu en 1995, le capitaine a été condamné à 18 mois de prison ferme. Peine jugée trop clémente par les familles des victimes.
Plus récemment, en 2012, un autre naufrage, celui du Costa Concordia, a fait la une des media et avant tout début d'enquête, la presse a pris le capitaine comme bouc émissaire, le présentant comme l'homme le plus détesté d'Italie. C'est un peu puéril, mais ça a marché. Le tribunal a prononcé une peine de 16 années de prison et quelques mois. Là encore, les familles des victimes demandaient plus.
Mais si ces capitaines avaient été condamnés au double ou même à perpétuité, ça ne leur aurait pas encore suffit car leur désir de vengeance est à la hauteur de leur souffrance. Il est colère, il est passion.
On me rétorquera que lorsqu'il y a un procès, il y a justice et non vengeance. Or, le mot venger vient justement du latin vindicare qui signifie demander justice.
L'institution judiciaire fonctionne de façon à infliger une peine (un mal) en paiement d'un crime (un autre mal). C'est la loi du Talion.
Là, je demande :
Est-ce que l'application de la loi du Talion par l'institution judiciaire soulage la douleur de celui qui réclame justice ?
Est-ce que sa souffrance sera effacée par la condamnation de celui dont il veut se venger ?
Ce qui aurait pu ne pas se produire est arrivé et on ne peut rien y changer et c'est de cette impuissance à revenir en arrière que se nourrit le désir de vengeance pudiquement appelé demande de justice. Aucune peine ne pourra faire que l'évènement ne soit pas survenu. La punition est de plus en plus infligée non pas en fonction du crime, mais pour satisfaire celui qui réclame justice. Or, est-il admissible que ce qu'on appelle justice serve en priorité à soulager les victimes ou leurs parents ? Peut-on infliger le mal à un accusé en disant que c'est un bien pour sa victime ? Il faut bien le dire, de nos jours, justice est synonyme de punition et le plus souvent, privative de liberté ou de moyens d'existence compte tenu de la démesure des peines. Est-ce vraiment juste ?
Il faut bien le reconnaître, lorsqu'elle prononce des peines démesurées par rapport aux actes commis, l'institution judiciaire génère un nouveau sentiment d'injustice qui va entraîner un nouveau désir de vengeance qui ne s'éteindra par aucune autre justice sauf la vengeance personnelle. Est-ce ce que la société cherche à faire ?
En mettant ces capitaines en prison, on ne protège en rien la société. On venge ceux qui souffrent à cause directement ou indirectement de celui qu'on montre du doigt. Les terres inconnues n'existant plus, on ne peut plus bannir le condamné, on l'enferme alors en dehors de la société, on le gomme, on le met entre parenthèses pour un nombre d'années en principe défini à l'avance. A défaut d'annuler le crime, on exclut son auteur.
Le droit a été créé pour supprimer la vengeance, et par son usage, il en est devenu l'instrument. L'institution judiciaire est devenue une arme.
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Prudhon, La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime
Tableau commandé par le préfet de la Seine pour le palais de justice de Paris.
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