Ce qui suit est un conte paru en 1929. La façon d'écrire a bien évolué mais celle-ci est bien agréable.
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Il était autrefois dans la bonne ville de Nantes, un homme bête comme une taupe, balourd comme un ours, jaloux comme un cerf et méchant comme un ivrogne en colère. Le dit homme, qui avait pour nom celui de Bertrand Benoît, exerçait furieusement ses droits sur sa femme, l'injuriant, la tarabustant, la battant à toutes minutes du jour et de la nuit. Et la pauvre demandait souvent à ses parents pour quelle raison on l'avait accoutrée d'un homme si mauvais, si hargneux et si brutal. L'intérêt de la famille était en jeu, lui répondait-on. Et que lui importait l'intérêt de sa famille ; aurait-elle consenti à perdre les droits qu'elle avait, étant aimable et belle, à toutes les mignardises de l'amour. Non point. A cet effet elle avait choix d'un galant jeune, beau et bien fait, et qui plus est, malin comme une chouette, s'il est tant vrai que cette bête soit si finaude. "Tu me feras tourner en bourrique" répétait dame Benoît à son mari quand celui-ci la tourmentait et la gehennait. L'histoire dit qu'elle y tourna et comment : —Ma mie, m'aimeriez-vous plus encore,
dit un jour le galant si je vous débarrassais de votre saugrenu bonhomme?
— Oui, répondit-elle, plus encore s'il
est possible.
— Alors écoutez-moi bien, je vous ferai
don d'une vieille ânesse que vous amènerez chez vous, quand maitre Benoît n'y
sera pas. Et lorsque celui-ci rentrera vous
vous cacherez dans le grand bahut et direz : "Tiens, regarde, tu m'as fait tourner en
bourrique". Quand sortira votre bonhomme
vous viendrez me trouver et de lui nous
ne parlerons plus jamais.
Le soir donc, en rentrant chez lui, Bertrand voit l 'animal qui lui dit : "Tiens,
regarde, tu m'as fait tourner en bourrique".
Le mauvais mari ébaubi se mit à pleurer en caressant et en embrassant la tête
de la bête que tout ce manège ne devait
nullement amuser. Il la supplia de redevenir femme, promettant d'être aimable et doux à l'avenir. Mais le charme était
accompli. Toute prière était inutile. Bertrand usa des menaces et des coups ; même
résultat. Il l'amena alors dans sa chambre pensant qu'au contact des draps elle
reprendrait sa forme première, son espérance fut déçue ; au bout d'un quart
d'heure la bourrique impatiente lui envoya
une ruade qui le décida à vendre au marché le lendemain cette mauvaise garce.
Chemin faisant, maitre Benoît raconta
son histoire à des voisins : "Tenez, voici
ma femme; elle était tellement mauvaise
que je l'ai fait tourner en bourrique." Or, il n'était pas aimé, on le craignait
même, car sa méchanceté connue le faisait passer pour possédé du démon. On
disait qu'il jetait des sorts et son aventure
était bien pour le prouver. La justice fut avertie et Bertrand à la
question avoua ses relations avec les diables et les sorciers. Des lors son histoire
fut brève : il fut pendu. Quant à sa femme,
elle recouvrit sa première forme avec
l'aide de son savant galant, hérite des
biens de son ancien mari et fut par la suite
très heureuse.
Ce petit conte renferme divers bons enseignements à l'usage des personnes en âge
de réflexion ; lesquels sont : qu'un mari
doit être gentil avec sa femme et par cela
l'empêcher de prendre galant qui sont
pour la plupart des malignes gens pour
estourbir les maris ; qu'on doit soigner
l'opinion publique si l'on veut ne pas être
occis ; qu'un homme doit se méfier des
engeances des femmes et des galants et
plus encore des gens de justice qui vous
font dire mensonges, menteries et autres
vilaines choses propres à faire pendre les
gens.
RAYMOND BONNARDEL
(La Vendée Républicaine)
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