mercredi 11 mars 2009

Un concert en mars



Vingt ans, il y a tout juste vingt ans aujourd'hui, il faisait beau.
Je venais d'acheter la maison, une ruine.

L'hiver faisait une pause et nous en avions profité pour installer des tréteaux et une planche sous les tilleuls qui n'avaient pas encore de feuilles, mais tant pis, il faisait beau, ça justifiait toutes les folies. Nous finissions de dîner tranquillement dehors lorsqu'un bruissement de feuilles accompagné d'une onomatopée prolongée se firent entendre : "Eeeeeeeeeeeeh !..."

Notre conversation s'arrêta net, laissant place à la suite : "Vindieu d'vindieu d'saloperie de mes deux !" La haie, cause du bruissement, se secouait brutalement et nous en vîmes sortir, hirsute, un autochtone rougeaud.

"Bonjour ms'ieurs dames !"

Monsieur s'adressait certainement à mon fils, âgé de deux ans et seul représentant de la gent masculine, qui n'avait pas lâché son dessert. Ma fille aînée, prompte à rire, ne pouvait pas dissimuler son hilarité. La deuxième regardait l'intrus avec un sourcil levé. La plus petite, âgée seulement de quelques mois finissait son repas sur mes genoux. Je tentais moi-même de garder mon sérieux pour ne pas porter ombrage à notre visiteur impromptu.

"- Bonjour Monsieur, avons nous répondu de concert.
- Quelle belle petite famille ! Ah, j'aime ça cette belle petite famille réunie. Vindieu ! De nos jours, la famille, tout le monde s'en fout. Je peux m'asseoir ?"

Notre visiteur avait pris place sur le banc auprès de ma seconde fille qui nous faisait des mimiques pour nous montrer qu'il avait le visage et les mains griffées par le houx.

"J'boirais bien queque chose.
- Je vous donne un verre d'eau, nous ne buvons que ça.
- Héla ! vous voulez me faire rouiller ?
- L'eau, c'est bon pour la santé.
- Vindieu ! si on m'avait dit qu'un jour une femme me ferait boire de l'eau..."

Il devait cependant avoir soif, car ce n'est pas un mais deux verres d'eau qu'il engloutit de suite.

"- C'est calme ici. J'habite en face, et ben c'est moins calme !
 - Ce qu'il y a de bien chez vous, c'est qu'on n'entend pas gueuler la télé.

- On va coucher les petits, dirent alors les deux filles qui habituellement se battaient pour ne pas le faire."

Elles disparurent dans la maison et je les entendais rire à l'intérieur, elles savaient, elles, que si la télé ne faisait pas de bruit c'est qu'il n'y avait pas encore l'électricité.

"Elles sont gaies vos filles."

J'avais le sourire. Oui, mes filles étaient gaies et elles avaient la chance de pouvoir exprimer leur gaîté maintenant qu'elles étaient hors de vue.

J'appris bien des choses sur le village lors de cette conversation avec mon voisin. Peu à peu, la nuit arrivait et j'avais allumé des bougies après une remarque sur un lampadaire qui ne serait pas de trop.

Puis, il se mit à chanter, des airs d'avant guerre qui parlaient de roses, de jeunes filles et d'amour et d'autres. Il aimait Bourvil et plus il faisait nuit, plus il chantait fort :

"Je lui fais "Pouet-Pouet" ! Elle me fait "Pouet-Pouet" !
On se fait "Pouet-Pouet" et puis ça y est.
Je souris "Pouet-Pouet" ! Elle sourit "Pouet-Pouet" !
On sourit "Pouet-Pouet" ! On s'est compris.
Alors le monsieur qui l' voit fait une sale trompette
Y en a même quelquefois plus d'un qui rouspète
Je lui fais "Pouet-Pouet" ! Elle me fait "Pouet-Pouet !..."

A l'intérieur, j'entendais mes deux gamines qui se tordaient de rire.
Elles avaient ouvert la fenêtre de la chambre et écoutaient le concert.

Notre voisin nous a quittés vers minuit, non sans avoir eu du mal à sortir son vélo du buisson de houx où il avait presque disparu entièrement.
Sa femme, dont j'ai fait la connaissance le lendemain, m'a dit :
"Il m'a dit que vous lui aviez donné de l'ieau ! Moi qui le croyait tombé soul comme une barrique dans un méchant fossé... pour une fois qu'il n'était pas au café."

Je pense qu'il devait en revenir, du café, quand il a traversé ma haie. Mais chut ! c'est un secret.

12 commentaires:

  1. Cette porte qui s'ouvre, et tout ça, ça me rappelle "Le devin" quand il demande l'hospitalité à tout le village réuni chez Abraracourcix à cause de l'orage, c'était dans un album que je n'ai pas lu depuis, hé bé, presque vingt ans.

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  2. C'était mon premier contact avec ce voisin qui nous a bien fait rire pendant les 13 années où nous nous sommes cotoyés.

    Il a maintenant traversé la rue pour rejoindre le cimetière et je vais parfois y poser quelques fleurs.
    Sa bonne humeur me manque et parfois, je regrette ses petites chansonnettes.

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  3. Je ne me souviens plus du tout de l'album "Le Devin". J'étais plus attentive pour les premiers albums que pour les derniers.

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  4. Le Devin n'est pourtant pas si récent... ça date du début des années soixante-dix, si je ne m'abuse.

    C'est une charmante petite histoire vécue qui parle de bon voisinage. Sympathique. Ce genre de sociabilité se perd... même si elle passait peut-être trop souvent par le café du coin au goût de certain(e)s!

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  5. Soixante-dix ? J'étais en terminale. C'est certainement la raison de cette distraction, j'étais occupée ailleurs.

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  6. Ma Cousine , ton récit me fait penser à Maupassant ! J'aime beaucoup . Bien mieux que tes TARA TATA qui me passent au dessus de la téte . Continue , c'est là que tu es bonne .

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  7. Et bien, Patton, je n'ai rien inventé, cette histoire est véridique et ça s'est passé exactement de cette façon.

    Ce qui est remarquable, en fait, c'est que tout le monde s'est comporté comme s'il était normal de traverser une haie en vélo pour entrer chez des inconnus.

    Je précise que j'étais la seule du coin à entretenir des relations "normales" avec ce voisin alors qu'il habitait là depuis avant la guerre et connaissait l'histoire de ce village mieux que quiconque.

    je vais finir par croire que l'écriture est ma voie, tu es déjà le deuxième sur le blog, et nous sommes peu nombreux, à me le dire.

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  8. Mais il faut de tout pour faire un monde...

    Tiens, une devinette pour toi :

    Monsieur et madame Palairbiensolidcétourla ont un fils, comment l'appellent ils ?

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  9. Je ne suis pas du genre à flagorner . Tu es réellement douée pour le récit ... enfin...pas tous ! Passons ...Quant à ta devinette , je donne ma langue au chat .... je l'ai déja donnée à Vixen... enfin ...bon... ( chatte ) .

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  10. Merci, pour la peine, je te donne la solution :
    C'est Oussama, parce que :
    Oussama Palairbiensolidcétourla.

    Je ne te l'écrit pas en clair, si ?

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  11. Elle est drôle ton histoire ! Tu as fait une BA avec ton voisin, de quoi débuter de bonnes relations — les bonnes relations entre voisins, c'est (très) important ;))

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  12. C'est vrai Deef, malheureusement, tous les "vieux" du coin sont partis ou décédés.
    Leurs remplaçants ne sont pas aussi drôles et sympathiques. Certains ne disent même pas bonjour.
    Merci de ta visite, ça fait plaisir.

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